Il y a des deuils qui n’en finissent pas

Ma chère Lucie,

Je viens enfin de terminer le livre que tu m’avais offert lors d’un bref passage à Paris. La veille, tu étais partie de Tours pour nous offrir une chance de nous revoir après tout ce temps. Et quel bonheur en effet, était-ce de te revoir.  Retrouver ta bonne humeur, ton sourire contagieux, partager un bon repas. Des souvenirs que je chérirais pour toujours.

Puis, il y a eu cette une brioche qu’on voulait tellement avoir, mais que le serveur ne pouvait nous offrir car nous n’avions pas choisi le menu qui lui était associé. Je me souviens de la déception sur nos visages et de la joie qui s’en était suivie lorsqu’il nous l’a apporté, alors que nous ne nous y attendions plus. En y repensant, cette joie était certainement disproportionnée à ce qui nous était offert.  Mais l’une des choses que j’adorais avec toi, c’était cette capacité à trouver du bonheur dans les choses simples. Comme cette brioche ma tendre Lucie.  C’était une belle journée ensoleillée à Paris, et aussi, la dernière fois que je te reverrais…

Tu avais signé : « En mémoire de nos échanges ». Sur le moment, j’avais trouvé étrange ce choix de mot pour un livre offert à une personne que tu reverrais certainement. « En mémoire de », une expression que j’associe souvent au deuil. Une note prémonitoire peut-être, maintenant que tu n’es plus ?

La mort est un phénomène auquel j’ai du mal à me résoudre. Je ne la comprends pas. Elle torture mon cerveau qui a horreur des mystères. Elle envahie mon esprit qui cherche des réponses. Il y a aussi la colère, à chaque fois que je fais face à cette réalité : vivre.  N’est-ce pas cela, vivre ? continuer à avancer comme si une part de soi ne venait pas de s’en aller. « Une part de soi », voyons donc Rachel-Diane ! N’est-ce pas bien dramatique ?! Et pourtant, c’est bien ce que je ressens : Le manque, jusque dans mon corps.

Bien des fois je me sens illégitime dans mon deuil, de toi. Je pense à toutes ces personnes dont tu étais si proche. Ta famille, ta conjointe, et tous.tes tes ami.es qui t’ont connu et accompagné.e.s toutes ces années. Je ne trouve parfois pas légitime d’être si affectée par ta mort. Est-ce légitime d’avoir si mal pour une personne que j’ai connue pour pas si longtemps dans le fond ?

« La valeur n’attend point le nombre d’années »

Notre amitié était assez jeune et je dirais même atypique considérant notre différence d’âge. Tu étais si jeune, et pourtant si sage, si réfléchit pour ton âge !  Nous nous sommes rencontrés au travail. Je commençais un poste d’intervenante sociale et toi qui, venue à Montréal de la France, commençais un stage académique. 3 mois plus tard, la pandémie de la Covid-19 frappait de plein fouet. Tu as dû retourner en France. Le pays s’apprêtait à fermer ses frontières. Tout aurait pu se terminer là pour nous, mais nous sommes restées en contact, nous avons continué nos rencontres via le club de lecture. Très souvent, nous nous appelions pour nous mettre à jour sur nos vies, et enfin nous avons pu nous revoir à Paris trois ans plus tard. Une dernière fois…

Je vis dans une dualité, celle du deuil de ce qui a été, mais aussi des possibles manqués. Reconnaître que je t’ai connu, dans cette amitié si intense, si facile, si nourrissante, et aussi, qu’il y avait tellement de choses qui restaient encore à découvrir de toi, de nous.

Lors de ta cérémonie d’adieu, j’ai écouté avec attention les témoignages de tes proches. J’ai découvert que tu jouais à la guitare. Moi aussi. Très peu, mais oui, moi aussi. J’ai découvert que comme moi tu aimais chanter souvent, danser. J’ai découvert que plus jeune, tu composais des musiques, avec tes amies. Moi aussi. J’ai découvert que tu aimais Mylène Farmer. Moi aussi. Je réalise que nous grattions à peine la surface de cette belle amitié. Qu’au delà de notre amour des livres, des sujets sociaux, identitaires, philosophiques et de la générosité des coeurs, il y avait encore tant de chose à découvrir de toi. Et pourtant je dois faire face à cette réalité… C’est dur.

J’ai enfin terminé ce livre que tu m’as offert. Puis je me suis effondrée. Je m’y étais accrochée, comme un dernier lien tangible avec toi. Je le lisais à compte-goutte pour ne pas le finir trop vite. J’avais l’étrange sensation d’être connectée à toi tout son long. Je me demandais si les mêmes passages nous avaient marqués. J’étais curieuse de connaître ton avis sur certaines prises de position de l’auteure. Je comprenais pourquoi tu disais avoir tant aimé ce livre. En même temps, je me questionnais aussi sur certains passages qui semblaient aller à l’encontre de ce que je te savais défendre. J’aurais tellement aimé en discuter avec toi…

Tu m’avais toujours dirigé vers des lectures que je n’aurais pas choisies par moi-même mais qu’au final je finissais par adorer. Grace à toi, j’ai découvert des auteur.es tels que : Virginie Despentes, Amin Maalouf, et maintenant Ovidie, l’auteure du dernier livre offert. Ces livres étaient à ton image, plus intéressés par le questionnement et moins par les certitudes. Ils apportaient de nouvelles perspectives, ouvraient la réflexion, exigeait de raisonner, d’envisager la réalité autrement.

Pourtant il m’est difficile d’envisager une réalité où tu n’existes plus ma chère Lucie. Dans ce monde parfois si sombre, c’est des personnes comme toi qui donnent du sens à la vie, qui lui apportent de la lumière. Tu étais si lumineuse ma douce Lucie.

Tu es partie trop tôt. Bien trop tôt. Trop subitement. Et c’est là que le bât blesse. J’ai le cœur lourd, la gorge nouée, à chaque fois que je fais face à cette réalité que tu n’es plus. Bien souvent, je préfère sombrer dans une illusion. Une part de moi y trouve du réconfort.

La mort est un phénomène que je ne comprends pas. Elle ne discute pas. Ne laisse pas le choix. Se soucie peu de son impact, du vide qu’elle laisse, du timing pour se présenter. Elle ne fait aucun sens !!!

Il y a des deuils qui n’en finissent pas. Il y a des personnes qui nous marqueront à vie. Tu en faisais partie. Ma précieuse Lucie.

R-D

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