L’HISTOIRE DE SOI

Tout a commencé par une conversation avec ma thérapeute lorsqu’elle m’a demandé de parler de mon enfance.

Un sourire mélancolique sur mon visage, j’ai commencé par lui dire que j’avais eu une enfance magnifique. J’ai mentionné la présence de la communauté et la grande solidarité que je me suis sentie privilégiée de vivre en grandissant. Je lui ai parlé du sentiment de liberté que j’ai sentie à chaque fois que je visite mon village maternel, perdu dans la nature au milieu de nulle part. Je lui ai parlé de la complicité avec mon frère, mes sœurs et mes cousins. Je lui ai dit que je n’ai jamais manqué une personne avec qui je pourrais jouer comme je le vois souvent avec mes enfants. Je lui ai enfin parlé de l’amour inconditionnel de mes grands-parents maternels et la chance que j’avais d’avoir une famille soucieuse de mon bien-être.

Mais lorsque j’ai commencé à parler de l’opportunité d’aller à l’école, de manger tous les jours à ma faim et d’être en bonne santé comme s’il s’agissait de privilèges (plutôt que de besoins de base), je l’ai vu hausser les sourcils. Ensuite, elle m’a demandé de lui parler plutôt de la partie la moins heureuse de mon enfance.

Je fais une pause, pour un instant qui m’a semblé une éternité. Je n’ai pas compris d’où me venait la tristesse écrasante qui semblait m’envahir et que j’ai sur tout de suite que je n’aurais pas été à mesure de la contenir. J’ai pleuré.

Mon thérapeute m’a demandé de prendre mon temps. De ne partager que ce que je me sentais prêt à partager.

Un instant plus tard, parlant toujours de mon enfance, j’ai mentionné la peur et l’insécurité constantes qui faisait partir de mon quotidien. Du fait que ma famille avait subi de nombreux vols à main armée dans notre maison. Je lui ai dit que j’avais vu à deux épisodes différents, une une arme à feu pointé sur mon père. Je lui ai dit avoir le souvenir du visage enflé de mon père après avoir reçu un coup une machette dans la tête. Je lui ai dit que j’avais entendu ma mère supplier son agresseur de ne pas la violer heureusement, cela ne s’est pas produit. Je lui ai dit que les vols armés duraient toute la nuit, de 1h au petit matin et qu’on passait la nuit à entendre les menaces, à entendre mon père être frappé, et tout ce qui s’en suit.

Je lui ai dit qu’enfant, je marchais avec la peur de voir un voleur se faire brûler vif et torturer devant les cris encourageant de la communauté qui avait choisi de se faire justice devant l’insécurité grandissante. Quand j’allumais la télé ou ouvrais un journal papier, j’espérais ne pas voir l’image d’un jeune garçon avec une tête décapitée ou un tragique accident de la route avec des morceaux de corps éparpillés partout.

Je lui ai parlé de la normalisation de la violence conjugale et de l’alcoolisme – les routines de disputes, les rivalités entre frères et sœurs, souvent encouragées par les adultes, et qui ont encore des ramifications dans le présent.

J’ai mentionné comment une communauté peut devenir un fardeau pour qui questionne le statut quo et va à l’encontre des normes. J’ai évoqué les moqueries constantes de ma sensibilité car les Noirs, les Africains sont censés être forts. 

N’est-ce pas beaucoup pour une enfance magnifique, m’ a-t-elle dit?

La conversation s’est ensuite dirigée vers mes relations. Là aussi, j’ai réalisé combien ma perception était biaisée. Tant de fois j’ai cru l’abus pour de l’amour ou encore, la tolérais-je en échange de moments sporadiques d’attention. Et la conversation s’éternisait.

Je suis sortie de cette conversation complètement perdue. Soudain, c’est tout mon monde qui s’effondrait, rien ne faisait plus sens. Je me suis sentie triste, triste et en colère contre mon thérapeute. Comment a-t-elle pu détruire en une séance le souvenir de ma magnifique enfance, me laissant, le temps d’un instant avec toutes ces questions sans réponses ?

  • Qu’est ce qui fait que j’arrive à interpréter l’abus pour de l’amour ?
  • Pourquoi est-ce si facile pour moi de faire confiance aux personnes, même lorsqu’elles me montrent à répétition que je ne devrais pas ?
  • Pourquoi est-ce que je me sens si à l’aise dans le chaos ?
  • Pourquoi mon sens de la réalité est-il si altéré ? Et quelle est ma vraie histoire sans tous les filtres que je lui ai souvent appliqués ?
  • Qu’est-ce qui a façonné ma personnalité et ma vision du monde ? Quelle est l’étendue de mes zones d’ombres ? quels sont mes déclencheurs ?

C’est ainsi qu’est né mon besoin de sur-analyser et de sur-penser tout. Je suis constamment à la recherche de connaissances. Tout ce que je peux apprendre sur moi-même et son impact sur ma vision du monde est devenu crucial. Je n’ai aucune confiance à ma perception des choses. J’ai développé une obsession de la rationalité. Vouloir analyser toutes situations, même les plus simples sous différents angles et ne rien laissé passer. Je suis aussi devenue suspicieuse du sentiment du bonheur, si suspicieuse que lorsque je ressens fortement ce qui apparaît comme du bonheur, je ressens aussi du danger, suivi d’anxiété. 

Il y a deux jours, une situation est arrivée qui m’a fait questionner mon sens de la réalité et m’a entrainé dans un cycle infernal de sur analyse au point de juste vouloir jeter mon cerveau à la poubelle. 

Dans une tentative de recherche de solution, j’ai fait une publication sur Instagram, demandant à ma communauté si elle avait des solutions pour mettre fin aux réflexions qui viraient à l’obsession. Un commentaire que j’ai reçu disait quelque chose comme : « Moi je ne sur analyse pas les choses ; Je fais juste ce qui me rend heureuse ».

Le commentaire avait été écrit avec la meilleure intention. Toutefois, je n’ai pas pu m’empêcher de me demander comment la commentatrice pouvait être certaine que ce qu’elle vivait était du bonheur en premier lieu ? L’émotion, ou le sentiment de joie garantissent-ils le bonheur ? Et le bonheur, qu’est-ce que c’est en réalité ? Se détermine-t-il dans un instant de joie ?

Malheureusement, pour certains d’entre nous, sur analyser ne se présente pas comme un choix. C’est un processus sur lequel nous n’avons aucun contrôle. J’essaie de comprendre comment briser le cycle, d’où ma publication Instagram.

Plus important encore, je sais que nous sommes tout.e.s en quête du bonheur, peu importe ce que cela signifie pour chacun de nous et le chemin qu’on emprunte pour cela. Je sais enfin que j’ai depuis séparé mon idée du bonheur du sentiment et de l’émotion de la joie. La conscience, le sens de soi, le sentiment d’équité, sont ce qui m’apportent le plus de bonheur même quand ils s’accompagnent d’émotion de tristesse.

Je sais que j’ai choisi un chemin difficile. Car il n’offre pas l’excitation, la joie et de toutes les émotions que nous avons appris à associer au bonheur. Mais c’est le chemin que j’ai choisi – un long chemin, vu d’où je commence. Et j’essaierai autant que possible de l’accompagner de patience, de bienveillance et de non-jugement.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :